Nous sommes le 12 mai 2013. L’arbitre d’un match opposant Watford à Leicester City accorde un pénalty litigieux aux Foxes à la 97e minute de la rencontre. Contre toute attente, le gardien Manuel Almunia sauve les siens, avant que Troy Deeney, de Watford, marque un but quelques secondes plus tard sur une contre-attaque et renverse la rencontre. Le stade rugit.
L’histoire que vous venez de lire n’a même pas abouti sur un titre remporté par l’équipe de Watford. Pire, ce match n’a même pas été joué dans la première division anglaise de football. Mais pourquoi cet instant est-il ancré à jamais dans les annales du sport?
Atteindre les sommets
La rencontre citée plus haut était en fait organisée dans un contexte de possible ascension vers la Premier League, le Saint-Graal de n’importe quel footballeur qui se respecte. En marquant ce but, Troy Deeney a permis aux siens de jouer la finale des play-offs de la seconde division anglaise, contre Crystal Palace.
L’histoire ne s’est pas terminée sur un conte de fées pour les Hornets, parce que les Eagles sont finalement venus à bout de leur adversaire sur le score de 1-0. Pour la première fois en presque 10 ans, Crystal Palace aura la chance de retrouver des géants comme Liverpool, Manchester United, Chelsea ou Arsenal, et donc de disputer 38 rencontres dans l’un des championnats les plus relevés du monde.
Mériter sa place
Voilà ce qui différencie les ligues de football des ligues de sport américaines. La vingtaine d’équipes de la Premier League 2023-24 représente vraisemblablement les 20 meilleures formations d’Angleterre cette année, il en va de même avec l’Espagne, l’Italie, etc.
Une mauvaise saison se paye cash : en restant en Angleterre, l’équipe de Leicester, mentionnée plus haut, est montée en Premier League en 2014, remportant contre toute attente le championnat deux ans plus tard (pour mettre en considération l’exploit, le pronostic d’une victoire finale de Leicester en début de saison n’était que de 1/5000).
Mais la vie en rose n’est pas éternelle : l’année dernière, les Foxes terminent 18e du tableau, et rejoignent la division inférieure, comme les équipes à la 19e et à la 20e place du classement.
Et les exemples de la sorte ne manquent pas, encore récemment, être un géant de son époque ne garantit aucunement un totem d’immunité dans son championnat. L’AS Saint-Étienne, deuxième équipe la plus couronnée de France, stagne en Ligue 2 depuis la saison 2021-2022. Schalke 04, demi-finaliste de Ligue des Champions en 2010, est actuellement 14e de la deuxième division allemande.
Voir l’enjeu du côté inverse fonctionne tout autant : le Girona Futbol Club, basé en Catalogne, a intégré La Liga (première division espagnole) en 2022. Cette saison-ci, le Girona compte actuellement 45 points, et prend place fièrement à la deuxième position du classement, devant des cadors comme l’Atlético de Madrid ou le FC Barcelone. Dans le football ça va vite, il faut mériter sa place parmi les grands.
Des ligues fermées
Les 32 équipes de la NHL et de la NFL et les 30 équipes de la NBA et de la MLB sont, grosso modo, les mêmes chaque année. À part si une franchise déménage ou si l’une de ces ligues décide de procéder à une expansion, la donne risque de ne pas changer des années durant. L’une de ces formations pourrait être terriblement décevante pendant une décennie, rien ne peut concrètement la toucher au niveau sportif.
Pire, cette ladite équipe aura une probabilité plus haute de s’offrir un jeune joueur de talent, avec un peu de chance de son côté à la loterie. Les Chicago Blackhawks terminent 30e sur 32 sur la saison? Tenez, vous méritez le phénomène Connor Bedard! Les Spurs de San Antonio ressortent d’une saison en demi-teinte? Voilà un Victor Wembanyama, futur étoile du basketball moderne, tout frais, tout chaud.
En quelque sorte, le sport américain vient récompenser la médiocrité. Vu d’un côté plus « socialiste », le repêchage permet d’aplanir la ligue et la rendre plus équitable, mais la gestion des jeunes est d’autant plus intéressante du côté des ligues de football.
Le FC Barcelone a intégré Lionel Messi dans ses rangs alors âgé de 13 ans, tandis que le joueur restera plus de 20 ans dans la capitale catalane durant sa carrière. L’histoire aurait pu être plus belle si le génie n’avait pas quitté pour le Paris-Saint-Germain en 2021, mais plusieurs joueurs de football sont considérés comme des « one club man » influents : Ryan Giggs a joué professionnellement pour Manchester United de 1991 à 2014, alors que des joueurs comme Paolo Maldini ou Carles Puyol resteront chacun près de 25 ans dans leur club respectif.
Un tel attachement sentimental ne peut découler que d’une formation de football ayant repéré un joueur dans sa « jeune jeunesse », et non d’un athlète venu dans une franchise déjà à l’âge adulte.
Mais l’argent, comme dans bien des cas, vient ruiner l’équation.
La Super League
Le concept de la promotion/relégation vient amener une dose de suspens des deux côtés du tableau. La beauté résidant dans le foot tire parti du fait que tout le monde aura une certaine chance de remporter un titre et de jouer contre les plus grands. Le propos a été bafoué en avril 2021, alors que les clubs majeurs d’Europe décident de lancer la Super League.
Calquant le modèle américain, les participants décident de s’opposer à la Ligue des Champions de l’UEFA et créer une ligue quasi privée, ou les mêmes équipes sont assurées d’intégrer chaque édition. Pour prendre part à la Ligue des Champions, il faut terminer dans les meilleures places de son championnat.
Aucune promotion/relégation dans la Super League, très peu d'opportunités de participer à l’événement, simplement les clubs tenant la meilleure image et le marketing le plus alléchant. Et pas forcément les meilleures formations. À la manière des ligues américaines, chaque club serait assuré de jouer contre les meilleures équipes, quel que soit le débouché sportif d’une saison donnée.
Sans surprise, les fanatiques du football à travers le monde s’opposent au projet, n’y voyant qu’une occasion par les cadors européens de s’enrichir et d’éloigner les équipes plus modestes de leur viseur. Le projet, dans sa forme originale, ne tiendra que quelques jours, chaque club participant annonçant un par un qu’il quitte le navire sous la pression extérieure.
Parce que le football est plus fort que ça. Parce que les passionnés du ballon rond triompheront toujours sur les avides de billets verts.
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